La Conférence des Evêques de France (CEF) déplore d’une voix fluette tous les crimes pédophiles que les évêques qui la constituent ont laissé commettre faute d’avoir voulu les entraver, les dénoncer et y mettre un terme. Aujourd’hui ils versent ostensiblement des larmes de crocodile sur des faits qu’ils font mine de découvrir pour faire oublier qu’ils n’ont pas voulu savoir. Pourquoi n’ont-ils pas voulu savoir ? Parce qu’ils savaient déjà.
Face à la colère et à la défiance du peuple chrétien ils donnent l’impression de ne pouvoir sortir de l’incantation faute de vouloir demander sincèrement pardon. Comme si tous ces événements s’étaient déroulés en leur absence. En un sens c’est bien ce qui s’est passé : ils n’étaient pas là où ils auraient dû être. Mais s’ils ont été absents c’est parce qu’ils se sont absentés. Ils ont commis ce que l’on appelle à l’armée un abandon de poste.
Si la hiérarchie catholique a tant de mal à demander pardon à ses victimes en démissionnant collectivement – comme le pape l’a exigé et obtenu de l’épiscopat chilien – pour reconnaître et assumer ses responsabilités propres c’est parce que la CEF obéit à une logique mondaine : ne pas perdre la face.
C’est son objectif majeur. Le pardon à demander aux victimes, la renonciation à leurs sièges épiscopaux, la repentance et, de manière générale, tout ce qu’ils demandent aux pénitents dans le cadre de la confession ne sont pas compatibles avec cet objectif.
Les réticences actuelles de la CEF à reconnaître sa responsabilité, ses fautes et ses péchés dans le scandale des abus sexuels dans l’Eglise sont choquantes mais pas étonnantes.
Cette paralysie de la CEF illustre, involontairement, les méfaits et les ravages du cléricalisme au sein de l’Eglise et pas seulement en France : le problème est beaucoup plus large et le drame beaucoup plus profond.
Cette tétraplégie cléricale illustre une vérité fondamentale : plus l’Eglise est hiérarchisée et moins elle est à l’écoute de l’Esprit saint. Ce n’est pas une nouveauté en soi : le clergé a toujours entravé et maltraité les saints de leur vivant avant de les canoniser après leur mort en courant au secours de la victoire.
Car, quand on est une institution humaine, on ne peut pas se permettre de perdre la face ! On ne reconnaît jamais ses erreurs. Ou alors très tardivement. Et en en minimisant la gravité. Et en invoquant les circonstances atténuantes. Mais surtout en ne demandant jamais pardon.
Ou alors de manière à n’engager aucune responsabilité individuelle comme lors de l’acte de repentance fait par Jean-Paul II en l’an 2000 pour les fautes commises par ses enfants au cours de siècles précédents et ayant constitué des formes de contre-témoignage et de scandale. C’était une démarche bien venue mais qui n’engageait pas à grand-chose concrètement. Pourtant elle a suffi à susciter de vifs reproches à l’intérieur même de l’Eglise et de la Curie. Demander pardon a été dénoncé à mi-voix comme un signe de faiblesse.
Plus l’Eglise est institutionnalisée, plus elle dégénère en organisation. Une organisation mondaine régie par les rapports de domination et des querelles internes. Plus l’Eglise est institution et moins elle communauté. Or, c’est ce qu’elle est censée être : une communauté de baptisés cheminant, cahin-caha mais ensemble, vers le Christ.
1/ L’Etat du Vatican ou la collusion institutionnalisée avec le monde
Pendant des siècles le clergé et l’épiscopat catholique se sont compromis avec la logique de ce monde et donc avec le Prince de ce monde. Le fait même que l’Eglise du Christ, humble et pauvre de cœur, se soit dotée d’un Etat en est la manifestation la plus cruelle.
L’Eglise institutionnelle est devenue une caricature d’organisation mondaine au fur et à mesure qu’elle a calqué son organisation et son mode de fonctionnement sur les structures politiques du monde. Au lieu d’aller au monde elle s’est rendue à lui et à son maître, le Prince de ce monde.
Elle possède donc un Etat qui, comme tous les Etats, obéit à la logique mondaine du secret d’Etat.
Un Etat qui étouffe les crimes de sang (meurtre du président de la Banco Ambrosiano, Roberto Calvi, à Londres en 1982, les trois meurtres de l’affaire Alois Estermann/Cédric Tornay en 1998 dans le milieu des gardes suisses).
Un Etat qui couvre les crimes pédophiles de ses « fonctionnaires » à l’échelle de la planète.
Un Etat qui couvre les turpitudes économico-sexuelles de ses dirigeants les plus élevés (les cardinaux).
Un Etat qui dispose d’une banque compromise avec toutes les dérives capitalistes de la mondialisation et avec les mafias les plus effroyables.
Un Etat qui a un organe de presse officiel – l’Osservatore romano – dont la transparence n’est comparable qu’à celle de la Pravda à l’époque de l’Union soviétique.
Un Etat qui possède une diplomatie avec tous les compromis et les compromissions que cela implique.
Sous prétexte de s’adapter à la logique de ce monde la hiérarchie ecclésiastique l’a adoptée et a fini par l’importer.
Fidèle à cette logique mondaine la hiérarchie ecclésiastique ne reconnaît ses fautes que sous la contrainte : quand elle est le dos au mur et qu’elle ne peut vraiment pas faire autrement – et toujours du bout des lèvres. Mais elle ne demande jamais pardon à ceux qu’elle a blessés.
Pourquoi ? Parce qu’elle a adopté la logique de la raison d’Etat qui préfère une injustice à un désordre.
2/ La collusion de la hiérarchie catholique : un processus historique ancien
Pendant des siècles l’Eglise catholique romaine s’est structurée sur le modèle des pouvoirs mondains qui l’entouraient et qui l’ont à la fois ou successivement oppressée et instrumentalisée : la féodalité d’abord, les monarchies « très chrétiennes » ensuite et l’Etat-nation enfin.
Ces pouvoirs mondains ont à la fois opprimé, inspiré et dénaturé l’Eglise catholique en enrôlant le clergé comme supplétif au service de leurs projets et de leurs ambitions.
De signe de contradiction aux yeux des hommes pour la gloire de Dieu et le salut du monde le clergé a été ravalé au rang de gardien des institutions.
Il est devenu la caution morale des traîneurs de sabres qui se succédaient sur les trônes européens en échange des revenus et des privilèges statutaires qu’ils lui garantissaient .
Le haut clergé en particulier a accepté de jouer un rôle actif dans la prostitution du sacrement de mariage : ce qui était censé être une union mystique a été ravalé au rang d’instrument diplomatique.
Le mariage princier a constitué pendant des siècles un moyen bien pratique pour nouer des alliances. La dynastie de Habsbourg et sa politique matrimoniale à la fin du Moyen-Age se résumait à cette maxime : Tu Felix Austria, nube (« Toi, heureuse Autriche, conclus des mariages »).
C’est sans doute pour cette raison que la papauté et le haut clergé faisaient à l’époque beaucoup moins de difficultés pour reconnaître la nullité de certains mariages royaux…quand les grandes familles royales le leur demandaient, avec ou sans insistance.
Le haut clergé s’est également compromis moralement en mettant son autorité spirituelle au service de ceux qui étaient ses maîtres et ses employeurs : tout monarque désireux de faire croire que sa montée sur le trône était dictée par la volonté de Dieu en personne pouvait trouver un évêque pour s’adonner à cette comédie du sacre royal.
Ce faisant le haut clergé apportait sa caution à tous les êtres de ruse et de sang qui s’étaient hissés jusqu’au trône pour y satisfaire leur orgueil et leurs convoitises.
Certes le prix moral à payer était exorbitant mais au moins la soupe était chaude…
3/ L’importation d’une conception féodale et donc païenne de l’obéissance
Les dirigeants de l’Eglise sous prétexte de s’adapter à la logique du monde, ont fini par adopter, importer, promouvoir et valoriser une conception du pouvoir antichrétienne : celle d’une obéissance qui n’est pas sous-tendue par le discernement et qui n’est pas ordonnée au bien.
Le jour de leur ordination, ceux qui veulent devenir prêtres font serment d’obéir toujours à leur évêque. L’autorité et l’obéissance sont considérées comme des vertus en elles-mêmes au lieu d’être considérées comme des moyens relatifs au bien, à la manifestation de la vérité et à l’expression de la charité.
En valorisant l’autorité et l’obéissance en tant que telles et sans référence à autre chose qu’elle, les évêques ont habitué les chrétiens – prêtres et laïcs – à envisager l’obéissance comme un bien au lieu de leur enseigner que l’autorité et l’obéissance étaient ordonnées au bien.
Une conception de l’obéissance ordonnée et donc subordonnée au bien confère sa légitimité au discernement, à la liberté de conscience et à l’objection de conscience.
A la fin de de l’Evangile le Christ annonçait qu’il nous enverrait son Esprit saint pour nous guider et nous révéler tout ce qu’Il n’avait pas pu révéler encore. Il n’exigeait pas d’obéir inconditionnellement à ses représentants dont il savait bien de quels abandons ils s’étaient montrés capables…
Le don de l’Esprit saint suppose que les chrétiens développent une forme de discernement spirituel pour séparer le bon grain qui vient de l’Esprit saint de l’ivraie qui vient des hommes (même bien intentionnés). Un discernement permanent qui repose à la fois sur l’intelligence spirituelle et la liberté intérieure éclairée par l’Esprit saint.
L’épiscopat, héritier des apôtres, a préféré procéder à l’ablation du discernement chez les ordinants en exigeant d’eux une obéissance sans condition et sans réserve. Pas même celle du discernement.
Là où le Christ envoie l’Esprit saint pour nous révéler Sa volonté, les évêques se sont mis à exiger une promesse d’obéissance a priori et absolue sur le modèle féodal c’est-à-dire une obéissance qui n’est pas subordonnée au bien : une obéissance autoréférentielle.
Ce type d’obéissance est celle que les hommes pratiquent spontanément sous diverses formes.
A l’armée on avait coutume de dire : « Réfléchir c’est désobéir ».
Chez les fascistes italiens le mot d’ordre était : « Mussolini a toujours raison ».
Dans la bureaucratie administrative cela donne : « Article 1 : le Chef a toujours raison ; article 2 : quand le Chef a tort, se référer à l’article 2 ».
C’est ainsi qu’aujourd’hui encore les prêtres en désaccord avec les options pastorales et théologiques de leur évêque sont condamnée à la schizophrénie existentielle : ils doivent taire les raisons de leur désaccord et agir contre leur conscience par fidélité à leur vœu d’obéissance.
J’ai connu un prêtre très classique me dire sur le ton de la confidence : « Vous les laïcs, utilisez la liberté d’expression qui est la vôtre pour dire ce que nous prêtres n’avons pas le droit de dire. Vous n’avez pas prononcé de vœu d’obéissance, profitez-en et exprimez-vous pour le bien de tous ».
Dans ces conditions l’appel à une réforme profonde de l’exercice de l’autorité dans l’Eglise apparaît davantage comme une urgente et impérieuse nécessité que comme une concession au politiquement correct et à l’air du temps. Non ?